"Au cours de l’histoire, 40 % des terres émergées furent comprises dans les divers empires coloniaux, et presque un tiers de la population mondiale a conn u les colonisations", nous apprend la BPI en introduction de son colloque "Histoires coloniales : héritages et transmissions" qui se déroule jusqu'à demain. 40 %, un tiers... Première surprise. Parce qu'entre toute l'Amérique latine (anciennes colonies espagnoles et portugaises), l'Afrique, l'Inde, une bonne partie de la Chine, les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale, etc., ça fait quand même une majorité de pays où "un groupe d'humains issus d'une terre se sont installés sur une autre terre en vue de la dominer" Une réflexion que l'on peut faire aussi en s'interrogeant sur l'impact contemporain du cinéma produit aux temps des colonies.
Cinéma et mémoire coloniale
« Les Cicatrices de l'Histoire » a sous-titré le Forum des Images son nouveau cycle si pudiquement appelé « Colonies ». Des cicatrices produites par une béance de la mémoire, un acharnement à ne pas vouloir regarder ces histoires, à ne pas vouloir se retourner sur leur production. Du décor à l'atmosphère, de l'exactitude historique à sa vérité sentimentale, le cinéma dit « colonial » dérange. Car on prend conscience qu'il fut avant tout exécution au service de la propagande, naissance de la mythologie coloniale par le 7e art. Ici et en quelques projections, depuis la série lyonnaise des douze « vues » intitulées par les frères Lumière Nègres Ashantis, se délie toute l'histoire de ce refoulé. Un imaginaire de la domination, une autopsie de la honte, une radioscopie de ses convulsions imagées annonçant la fin d'un Empire, puis le début d'une nouvelle histoire trouble, bien plus compliquée entre ses différents personnages, enfants d'une décolonisation qui leur a échappé.
Au-delà de l'analyse de ces images - dont l'immense vertu est d'évoquer ce réservoir sémantique dans lequel le film colonial a puisé son identité formelle et structurelle - au-delà du fantasme de l'imagerie orientaliste, de la nostalgie familiale ou de la honte, la puissance de ces films « coloniaux » se situe aussi et surtout dans le fait que chacune de ces séquences fournit des informations sur le groupe dont il émane, sur ce que ce groupe attend de lui, comme sur la propagation de sa politique. Sur le fait que ces films émettent de l'Histoire dès l'instant de leur conception, et jusqu'au moment où ils sont désirés-négligés.
Purgatoire commode
Que faire aujourd'hui de cette production ? Quelles sont les limites de ce purgatoire, commode, dans lequel les autorités l'ont sciemment déposée dès les années 1960 ? Et avant tout, comment définir ce cinéma « colonial » : s'agit-il de films tournés dans les anciennes colonies ou de films abordant les colonies ? Les films d'aujourd'hui, évoquant les rêves de mixages ethniques ou dénonçant les soubresauts de la nouvelle « globalisation économique », peuvent-ils à juste titre être qualifiés d'« enfants du cinéma colonial » ? De fait, ne dénotent-ils pas d'un souhait, parfois poussif, à passer outre, à dépasser ses échecs afin d'en extraire, enfin, une histoire commune et plus contemporaine ? In fine, et toutefois, quels seraient les risques d'une telle échappée si les écueils du passé n'ont pas été suffisamment remués ?
Passant de l'admiration filiale (L'Homme du Niger) à la violence d'une mauvaise foi tout adolescente (Coup de torchon, Bertrand Tarvernier, 1981) ou à l'éveil d'une conscience politique plus nuancée (Outremer, Brigitte Rouan, 1990), rêvant de créer un nouveau schéma parental « trans-racial» (Métisse, Mathieu Kassovitz, 1994) avant de figurer un quadragénaire usé cédant aux charmes d'une toute jeune Marocaine (Raja, Jacques Doillon, 2003), ces films semblent avoir définitivement imprégné nos cameras oscuras. Ils dénotent à la fois cette imbrication de l'homme face à l'Histoire et au temps qui passe, comme ils se révèlent les effets d'une certaine inquiétude et d'une mauvaise conscience. D'un défaut, d'un manque et d'un désir persistant. In extenso, et bien heureusement, naît au moins cette confirmation : en considérant qu'un film est à la fois une réalité, un outil, et une lecture de cette réalité même, le corpus d'une dialectique cinématographique issue de l'histoire coloniale existe, puisqu'elle est toujours en marche.
BIBLIOGRAPHIE
Pascal Blanchard Culture impériale : les colonies au coeur de la République, 1931-1961, Autrement (2004)
Ce second volume est consacré à la culture coloniale française. Après les expositions coloniales de 1931, la France métropolitaine se tourne de plus en plus vers l'Empire. Mais les illusions de la France s'effondrent avec les indépendances.
Denise Bouche, Histoire de la colonisation française – Flux et reflux (1815-1962),
Jacques Frémeaux , Les empires coloniaux – Une histoire-monde,
Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch (Dir.) Marseille, porte Sud (1905-2005) : un siècle d'histoire coloniale et d'immigration
(octobre 2005)
Marseille, ville cosmopolite et ouverte sur les cultures du monde, illustre l'histoire de la colonisation et de l'immigration. Dès le début du XXe siècle, hommes et femmes du monde entier s'y installent. Toutes les identités se croisent dans cette ville portuaire de l'Empire, des réfugiés aux combattants, en passant par les rapatriés et les voyageurs de passage.